Ragip DURAN (*)
La Turquie vit des journées exceptionnelles depuis le 19 mars, date de l’arrestation du maire d’Istanbul, M.Ekrem Imamoglu avec ses 106 collaborateurs. Son parti le CHP (Parti Républicain du Peuple, fondé par M.Kemal Ataturk, 134 sièges au Parlement sur 593) organise de grandes manifestations populaires pas seulement à Istanbul mais dans toutes les grandes villes du pays, en particulier dans les villes universitaires. Ce sont en effet la jeunesse estudiantine, la section la plus dynamique et la plus politisée de la société, qui est à la tête de ces manifestations de protestation.
M.Imamoğlu est en même temps le candidat désigné de l’opposition pour les élections présidentielles de 2028. Il est depuis 6 mois toujours en avance d’au moins 10 points devant Erdoğan dans les sondages d’opinion publiques, même dans les enquêtes commandées par le pouvoir.
Le régime a essentiellement deux objectifs:
- Se débarasser du rival du Président Erdogan
- Mettre la main à la Municipalité d’Istanbul dont le budget annuel est de 415 milliards de livres turques, (Environ 10 milliards d’Euros) en nommant un administrateur pro-Erdogan à la place du maire élu.
Le maire d’Istanbul est accusé par les procureurs et les juges, sous stricte contrôle du Palais Présidentiel selon l’ensemble de l’opposition, de corruption et de collaboration avec les terroristes séparatistes. Ces acusations sont réfutées par les avocats du maire. Les inspecteurs de plusieurs ministères n’avaient pas pu trouver depuis 2019 un seul acte illégale ou illégitime de la municipalité. Mais le tribunal d’Istanbul a trouvé ‘’deux temoins anonymes’’ qui auraient avoué ‘’les crimes et fautes du chef de bande Imamoglu’’ selon l’acte d’accusation.
Bien que le régime avait interdit toute marche et manifestation sur la voie publique depuis le 23 mars, les citoyens n’ont pas hésité à descendre dans la rue pour exprimer pacifiquement leur mecontentement. La réaction de la police est très violente. Envùron deux milles manifestants, plus une dizaine de journaliste ont été arretés après être battus dans quatre départements.
Erdogan n’a pas du tout l’intention de faire un pas en arrière bien que l’arrestation d’Imamoglu a causé une énorme perte économico-financière, la livre turque a perdu 10% de sa valeur ainsi que la Bourse d’Istanbul. La Banque Centrale a du vendre 25 milliards de dollars américains pour calmer le marché financier.
La Communauté Internationale, à commencer par l’Union Européenne s’est contentée de déclarer ‘’ses craintes’’ concernant les libertés, la suprématie du Droit et de la démocratie en Turquie.
Deux scénarios sont à l’ordre du jour des médias turcs (Dont 90% sont sous le contrôle du régime) :
- Erdogan a déjà reçu un coup dur mais peut réussir à sauver son trône grace à des mesures de plus en plus autoritaires voire fascistes. On parle même de l’Etat de Siège.
- Le régime qui s’affaiblit de jour en jour ne pourra plus résister contre les protestations populaires sera obligé de faire des concessions. Il peut essayer de récuperer le mouvement kurde (Représenté au Parlement par le Parti DEM, Parti de l’Egalité et de la Démocratie des Peuples, 57 sièges) ou bien d’amadouer le CHP.
Dans un pays où la stabilité politique et économique sont très fragiles, où il n’y a pas une culture et tradition d’opposition rationelle contre le régime, personne ne peut prévoir correctement le futur proche ni l’avenir à moyen terme.
(*) Ragip DURAN, journaliste de Turquie, vit à Thessaloniki depuis 2016, publie des chroniques hebdomadaires dans TVXS.GR, est l’auteur d’un livre en grec ‘’L’Exilé de Salonique- Chroniques de la Turquie Contemporaine’’ Editions ENEKEN. Ce texte est l'original de l'article
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